
Comprendre le ZAN : un cadre législatif ambitieux pour lutter contre l’artificialisation des sols
La loi Climat et Résilience du 22 août 2021, notamment à travers son article 194, a introduit un objectif majeur : atteindre le Zéro Artificialisation Nette (ZAN) des sols d’ici 2050. Cet objectif législatif impose aux collectivités territoriales de réduire progressivement l’artificialisation des sols jusqu’à la neutraliser totalement. Il s’agit là d’une transformation en profondeur des dynamiques d’aménagement du territoire en France, incluant les territoires ultramarins comme la Martinique.
Le ZAN repose sur deux échéances : une réduction de moitié de la consommation des espaces naturels, agricoles et forestiers (ENAF) entre 2021 et 2031 par rapport à la décennie précédente, puis une suppression de cette consommation nette à l’horizon 2050. Ce principe transforme les pratiques urbanistiques, en incitant à densifier les zones déjà urbanisées, réhabiliter les friches, et limiter l’étalement urbain.
La Martinique, territoire insulaire avec des contraintes géographiques, écologiques et sociales spécifiques, est concernée au même titre que la métropole. Toutefois, sa mise en œuvre y pose de nombreux défis particuliers.
Un contexte territorial et foncier spécifique en Martinique
Département d’Outre-mer et région ultra-périphérique de l’Union européenne, la Martinique connaît une pression foncière particulièrement forte. Le territoire est confronté à un double enjeu : répondre aux besoins croissants en logements et infrastructures tout en préservant un environnement naturel riche et fragile.
La Martinique se distingue par :
- Une forte contrainte géographique avec une superficie limitée (1 128 km²) et une densité de population élevée (plus de 330 habitants/km² selon l’INSEE, données 2021).
- Un relief accidenté, marqué par un volcan actif (la Montagne Pelée) et des zones non constructibles (zones à risques, terrains instables, zones inondables, etc.).
- Une forte proportion de terrains non utilisés mais inaccessibles au développement économique ou résidentiel du fait du morcellement foncier et de l’indivision successorale – un phénomène fréquent dans les territoires ultramarins.
Dans ce contexte, appliquer les normes du ZAN s’avère complexe. La réduction drastique de la consommation foncière pourrait, sans une adaptation spécifique, aggraver les tensions en matière d’offre immobilière, freiner la réhabilitation urbaine et altérer les marges de manœuvre des collectivités locales.
Les conséquences pour les projets immobiliers et le développement économique
La mise en œuvre progressive du ZAN implique un recentrage des projets immobiliers vers les zones déjà urbanisées. Cela favorise la densification urbaine, la transformation des friches industrielles et la mobilisation des logements vacants. En Martinique, cela se traduira par :
- Un encadrement plus strict des permis de construire en zones naturelles ou agricoles.
- Une réorientation des investissements publics et privés vers la réhabilitation ou la surélévation de bâtiments existants.
- Des opportunités de développement dans les centres urbains, qui devront être rationalisées pour éviter une saturation des infrastructures existantes.
Pour les promoteurs et investisseurs immobiliers, le ZAN constitue à la fois une contrainte et une opportunité : s’ils doivent désormais intégrer de nouvelles exigences environnementales, ils peuvent aussi bénéficier d’un accompagnement renforcé dans les projets de renouvellement urbain. Par ailleurs, la défiscalisation dans le cadre de dispositifs tels que la loi Pinel Outre-mer ou le Girardin peut toujours encourager les investissements dans des zones éligibles, à condition de respecter les nouvelles règles d’urbanisme.
Une gouvernance locale à adapter pour répondre aux exigences du ZAN
La planification territoriale est au cœur de la stratégie ZAN. En ce sens, le Schéma de Cohérence Territoriale (SCOT), les Plans Locaux d’Urbanisme (PLU) et surtout le Schéma d’Aménagement Régional de la Martinique (SAR), qui fait office de document stratégique territorial, doivent être révisés en intégrant les objectifs du ZAN.
Les collectivités martiniquaises devront :
- Identifier précisément les zones déjà artificialisées afin de prioriser leur reconversion.
- Mettre à jour leurs documents d’urbanisme pour définir une trajectoire de sobriété foncière compatible avec les objectifs nationaux.
- Dialoguer avec l’État pour obtenir des ajustements tenant compte des spécificités martiniquaises (insularité, démographie stagnante ou décroissante, contraintes naturelles, complexité foncière).
La loi du 20 juillet 2023 visant à faciliter la mise en œuvre du ZAN introduit, entre autres, un « droit à l’équivalence territoriale » pour les collectivités ultramarines. Cela signifie qu’elles peuvent adapter leurs plans pour tenir compte des réalités locales, sous réserve d’une validation par l’État.
ZAN et fiscalité : quels leviers pour concilier sobriété foncière et attractivité territoriale ?
La transition vers le ZAN implique une redéfinition des politiques fiscales associées à l’urbanisme. En ce sens, les pouvoirs publics envisagent plusieurs dispositifs d’accompagnement pour les territoires :
- Des subventions à la reconversion des friches urbaines et industrielles.
- Des aides financières ou déductions fiscales pour la rénovation énergétique ou la réhabilitation de bâtiments vétustes.
- Une possible révision des zonages fiscaux (zonage Pinel, zones ANRU, etc.), adaptée à la nouvelle hiérarchie des besoins fonciers.
Les investisseurs martiniquais pourront ainsi orienter leurs stratégies patrimoniales vers des projets alignés avec les objectifs nationaux de sobriété foncière, tout en bénéficiant d’avantages fiscaux pertinents. Il est essentiel de noter que les futurs choix de défiscalisation devront désormais intégrer les contraintes réglementaires liées au ZAN.
Une nécessaire sensibilisation des acteurs locaux et des citoyens
La réussite du ZAN repose en grande partie sur l’adhésion des acteurs locaux, qu’ils soient publics ou privés. En Martinique comme ailleurs, cette transition suppose un changement de paradigme : plutôt que de consommer du foncier pour construire du neuf, il s’agit de valoriser l’existant.
À cet égard, les initiatives de concertation et d’accompagnement sont cruciales. La collectivité territoriale de Martinique, en partenariat avec l’État et les professionnels de l’immobilier, devra porter une politique de sensibilisation visant :
- Les collectivités locales (mairies, communautés d’agglomération), chargées de la mise en œuvre concrète du ZAN dans leurs PLU et permis de construire.
- Les professionnels du bâtiment et de l’urbanisme, qui doivent intégrer les paramètres du ZAN dans leurs offres.
- Les citoyens, qui doivent comprendre les enjeux de la sobriété foncière pour adapter leurs attentes, notamment en matière de logement individuel.
Ce changement de culture urbaine constitue l’un des leviers fondamentaux pour assurer une transition juste, équilibrée et conforme aux réalités du territoire martiniquais.
En définitive, la loi ZAN incarne une évolution inévitable des politiques d’aménagement du territoire vers plus de durabilité. Pour la Martinique, elle constitue un défi exigeant mais aussi une opportunité de repenser un développement équilibré entre croissance urbaine, protection des écosystèmes et évolution des pratiques patrimoniales.